Le Rwanda social et politique avant 1959

Gusoma mu KINYARWANDA : kanda kuri "FR" mu nguni yo hejuru iburyo maze uhitemo "RW".

Les années 1920

Trois à cinq pour cent de la population rwandaise sont constitués d'une aristocratie au nom local d'Abatutsi (Tutsi). Cette aristocratie règne sur le peuple rwandais majoritairement hutu, via un système appelé ubuhake, une forme d'exploitation esclavagiste. La double présence de la Belgique et de l'Eglise catholique commence à ébranler fortement cette organisation du pays, mais sans affecter beaucoup la vie quotidienne des campagnes en dehors du voisinage immédiat des missions chrétiennes, de leurs succursales et des centres administratifs ou commerciaux qui seront disséminés petit à petit à travers le pays des mille collines. Il n'en reste pas moins qu'au sein de la société rwandaise, trois forces appréciables étaient désormais en présence, s'observaient et avaient commencé à interagir en profondeur à partir de leur "capitale respective" : Nyanza, capitale royale, Kabgayi, siège de l'Evêché catholique, et Kigali, capitale administrative de la tutelle belge.

Dès 1925, les moyens d'influence de l'Eglise s'étaient largement accrus du fait de la décision de la tutelle de recourir à cette dernière pour dispenser, dans tout le pays, avec les subsides du budget public, l'enseignement et ses avantages inégalables. Le monopole de l'enseignement sera, dans les faits, un instrument terriblement efficace pour, en échange, convertir la population rwandaise à bon compte.

La tutelle et l'Eglise deviennent un recours contre les injustices les plus criantes de la hierarchie coutumière. La tutelle introduit le code pénal écrit pour juger les violations graves aux droits de l'homme. Jusque là, le roi disposait du droit de mise à mort, droit dont il usait et abusait à sa guise, de par son pouvoir absolu. Malheureusement, l'administration de tutelle deviendra vite, à son tour, une source d'injustices pesant doublement sur le menu peuple taillable et corvéable à merci. Le travail forcé deviendra une de ces nouvelles sources d'injustices superposées.

Les années 1930

Accusé d'obscurantisme, de par son opposition à la pénétration des idées chrétiennes, le mwami Yuhi Musinga est destitué. En 1931, il est remplacé par son fils, Rudahigwa, qui prend le nom de règne de Mutara III. Pour commander le pays, la tutelle belge s'appuie sur l'aristocratie tutsi. Dans ce système d'indirect rule, le jeune roi, âgé de 18 ans, servira la politique de la tutelle et de l'Eglise, qui se rejoignent en fait à cette époque dans l'idée qu'il fallait d'abord conquérir l'aristocratie et que la masse suivrait.

L'année 1933 mérite d'être mise en exergue. Cette année voit la création d'un organe de presse mensuel en langue rwandaise, le Kinyamateka (nouvelliste), qui jouera un rôle majeur dans l'évolution des mentalités au Rwanda. Selon L. de Lacger, cet organe visera à lutter pied à pied contre la mentalité ambiante dans le milieu du pouvoir traditionnel, miné par le "vieil absolutisme païen, dissimulé derrière la profession de catholicisme, à combattre la dureté, les exaction et les abus du pouvoir, ses habitudes de corruption judiciaire, son libertinage sans frein envers les épouses des subordonnés" 

Les années 1940

Les années quarante s'ouvrent avec la deuxième guerre mondiale de 1939-1945. Au Rwanda, un accord de tutelle est signé entre l'ONU et la Belgique en 1946. Ces années voient le journal Kinyamateka être transformé en porte-parole de ses lecteurs et des sans voix. Grégoire Kayibanda en fera le tremplin de sa future révolution sociale lorsqu'il en devient rédacteur en chef de 1955 à 1959.

La population commence à réclamer des réformes. En 1946, la tutelle lance une enquête sur le système ubuhake. Celui-ci est reconnu ni plus ni moins comme une forme d'esclavage déguisé : toutes les fonction de pouvoir, comme les bienfaits de l'école, restaient aux mains des membres des seules familles "bien en cours" du roi et de ses chefs, appartenant à la seule ethnie tutsi. Le progrès créait paradoxalement un fossé de plus en plus profond entre les privilégiés et le peuple. Dans ce système d'"indirect rule", les chefs indigènes restent, dans les faits, juge et partie, tranchant les litiges de leurs administrés, punissant et emprisonnant à leur guise.

Une mission d'inspection générale de l'ONU, arrivée en 1949, dénoncera cet état d'injustice caractérisée et généralisée. A l'issue de sa mission, il est clairement recommandé de "promouvoir dans le pays des institutions politiques libres grâce à une participation croissante des habitants aux services tant centraux que locaux de l'administration et aux organes représentatitfs de l'administration de la population."

Les années 1950 : Emancipation des peuples colonisés

Les années cinquante voient les Etats-Unis et l'URSS sortir grands vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. Ils obligent les vieilles puissances coloniales européennes, affaiblies par la guerre, à ouvrir leurs colonies aux nouvelles puissances économiques montantes de l'après-guerre. Mais vite, la guerre dite froide s'installe entre l'impérialisme libéralo-capitaliste piloté par les Etats-Unis et l'impérialisme socialo-communiste piloté par l'URSS.

L'ONU devient un instrument par lequel ces deux superpuissances mondiales régissent le monde. En réaction, naîtra le mouvement des non alignés pour l'indépendance des colonies. L'Indonésie de Soekarno, l'Inde du Pandit Nehru, l'Egypte de Nasser et la Yougoslavie du Maréchal Tito en assurent le leadership.  

Suite aux recommandations de la mission de l'ONU de 1949, un plan décennal de développement est mis sur pied par la Belgique, pour la période 1950-1960. L'une des mesures spectaculaires qui sera prise sera la suppression de l'Ubuhake et le partage des vaches entre seigneurs tutsi et leurs valets. Le décret de suppression date du 1er avril 1954. Il sera signé par le Mwami lui-même.

Alors que cet acte - la suppression de l'Ubuhake - est aujourd'hui présenté comme un acte démocratique de la part du roi Rudahigwa, pour Kayibanda il s'agit d'une vaste escroquerie, destinée à récupérer ce plan et à tromper tout le monde. En effet, que signifiait, fait-il observer, le partage des vaches sans partage des terres et des pâturages? N'était-ce pas là, plutôt, une voie royale pour que le servage pastoral, officiellement supprimé pour plaire à la tutelle, se mue insidieusement en servage foncier? Grégoire Kayibanda engage là-dessus son premier combat politique d'envergure. Il entre en scène comme rédacteur à des revues comme AMI, Kurerer'Imana et, plus tard, Kinyamateka en 1955. 

Par ses écrits, Grégoire Kayibanda devient la conscience d'une nouvelle force montante, celle du menu peuple rwandais, majoritairement hutu. Il est conscient de son action et de son influence : "les petits m'aiment, m'estiment et m'écoutent" note-t-il lui-même dans Baudoin Paternostre de la Mairieu (Toute ma vie pour vous mes frères! Vie de Grégoire Kayibanda, premier président élu du Rwanda, Editions Tequi, Paris, 1994, P.84).

Kayibanda joue un rôle de premier plan dans la conception, l'élaboration idéologique et la conduite de ce qui sera la première libération du peuple rwandais en 1959. Il prône que les élites restent au milieu du peuple des campagnes de façon à pouvoir éduquer par l'exemple et la parole. Sur le plan économique, il défend "la reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle afin de mettre fin à cette inquiétante constante qui consiste à être privé de sa terre par les manigances de la coutume".

Il dénonce les jugements iniques, les corvées, les abus de toute sorte qui étaient réservés aux seuls membres de l'ethnie hutu. Certains Tutsi considéraient Kayibanda comme "plus progressiste que révolutionnaire et estimaient qu'il fallait discuter avec lui de ses idées dans la mesure où il récusait tout extrémisme dans un sens ou dans l'autre".

Les Tutsi traditionalistes, eux, refusent et, contre toute attente, ils publient un document appelé "Mise au point" à l'intention d'une mission de travail de l'ONU, de passage au Rwanda. Kayibanda et ses amis, considèrent ce document comme malhonnête, en ce sens qu'il ne défend que les intérêts de l'aristocratie tutsi tout en prétendant parler au nom du peuple rwandais. Ils s'y opposent en publiant, en mars 1957, un autre document que l'histoire a retenu sous le nom de "Manifeste des Bahutu". 

La révolution est certainement en marche à partir de ce moment-là. Elle s'inscrivait en fait dans le mouvement d'émancipation des peuples colonisés à la recherche de l'auto détermination, puis de l'indépendance. Fin 1959, Kayibanda fonde le Parti du mouvement de l'émancipation hutu - le PARMEHUTU - qui devient en 1960 le Mouvement démocratique républicain (MDR)-PARMEHUTU. Ce parti conduira le peuple rwandais à la révolution sociale et politique de 1959 contre la monarchie féodale et à la mise en place de la première République issue des urnes.

Sources

Gregoire kayibanda pour vous mes freres

N.D.R.L

Ici l'auteur parle du premier président de la république après le référendum du 25.09.1961 qui venait confirmer l'acte révolutionnaire du 28.01.1961. Ce jour-là le peuple rwandais a voté pour l'abolition de la royauté et la destitution du roi Kigeli V Jean Baptiste Ndahindurwa. Plus de 3.000 élus communaux ont voté pour que le Rwanda devienne une république populaire et ont choisi Dominique Mbonyumutwa, candidat du Parti du Mouvement de l'Emancipation Hutu (Parmehutu), parti qui militait pour l'émancipation du menu peuple, majoritairement hutu, au poste du premier président de la république rwandaise avec plus de 80% des suffrages exprimés. Cet acte de revendication d'émancipation était légitime et fût à nouveau confirmé neuf mois plus tard lors du référendum du 25.09.1961 demandé par l'ONU et que l'histoire rwandaise a retenu sous le nom de Kamarampaka ("fin des débats"). Suite à ce référendum, Grégoire Kayibanda qui était alors premier ministre du gouvernement sous Dominique Mbonyumutwa fût élu en tant que nouveau président de la république rwandaise le 26.10.1961, avec un changement de régime puisqu'il opta pour un "régime présidentiel", c'est-à-dire avec un gouvernement sans premier ministre, dirigé directement par le président de la république, qui succéda au régime parlementaire de Dominique Mbonyumutwa. 

Procès-Verbal d'investiture de Dominique Mbonyumutwa sous-chef en 1954